On Killing, un livre incontournable pour comprendre l’homme et la guerre

Temps de lecture : 4 minutes

 

Ne ratez pas ce livre si vous êtes militaire (et que vous lisez l’anglais…). Il s’impose comme un ouvrage incontournable sur la thématique de l’homme face à la mort et à l’action de tuer. Au-delà de ce sujet, il donne des clés très importantes sur la compréhension du comportement de l’être humain dans sa relation aux autres, et in fine sur nos propres limites morales et sociales, sur le pire que nous sommes capables de réaliser.

 

De quoi parle-t-on ?

« On killing » a été écrit par un psychologue et militaire de l’armée de terre américaine, Dave Grossman, développant le thème curieusement peu développé de l’action de tuer. Il s’inspire de nombreux ouvrages historiques, d’études psychologiques, et des entretiens que sa place privilégiée lui ont permis de conduire avec ses compatriotes de l’US Army. Evidemment l’activité militaire prend une place prépondérante dans cette étude, car la relation avec la mort y est particulièrement forte. L’auteur passe en revue la plupart des ouvrages et des études qui décrivent les batailles rangées de l’époque napoléonienne jusqu’au conflits modernes, en analysant les facteurs et les motivations qui poussent l’homme à pouvoir annihiler son prochain, ou qui l’empêchent de le faire. Il mène aussi une véritable étude scientifique et décrit notamment les modèles et les situations psychologiques dans lesquelles l’être humain s’est plongé ou qu’il a délibérément fabriqué pour améliorer sa capacité à tuer. Ce qui n’est généralement pas sans conséquence sur son équilibre psychologique (entraînant des désordres liés au stress post-traumatique ou post-traumatic stress disorder PTSD).

 

Comme annoncé plus haut, ce livre est d’un grand intérêt pour tous les militaires. En effet, la condition du militaire étant en premier lieu de s’entrainer au maniement des armes et à l’utilisation de la force létale (en d’autres mots à pouvoir tuer quelqu’un si nécessaire), le cheminement intellectuel de tout soldat passe immanquablement par une réflexion sur le sujet. Serais-je capable d’appuyer sur la détente ? Que faire si une personne parait menaçante ou ne répond pas aux sommations d’usage ? Comment vais-je réagir si je suis agressé au corps à corps ou si je ne suis pas armé pour me défendre ? Que faire si un enfant armé me prend en joue ? Que penser si dans un échange de tirs une tierce personne est blessée, tuée ? 

Toutes ces questions peuvent paraitre simples quand on essaie d’y répondre assis dans un fauteuil en prenant tranquillement son café, elles le sont beaucoup moins en plein milieu d’un conflit, d’une foule, ou lors d’une opération extérieure en milieu hostile. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire d’avoir les idées bien arrêtées sur la question en amont.

 

Qu’est-ce qu’on apprend ?

Ce livre apporte donc de nombreuses réponses sur l’ensemble des facteurs liés au fait de pouvoir tuer. En premier lieu, il analyse les aspects culturels de cette action. Car une analyse scientifique du sujet, et c’est la raison pour laquelle le thème est peu développé voire tabou, se heurte à des considérations culturelles ou même patriotiques sur le courage, la motivation sociale, la relation à l’autre, ou la vision du monde que l’on possède ou qu’il est bon d’adopter. Ainsi, il existe de nombreux obstacles pour ne serait-ce commencer à en parler. 

Ensuite, à travers l’étude de la littérature des batailles et des faits de guerre, l’auteur développe, de façon troublante mais rassurante, que l’homme n’est finalement pas fait pour trucider allègrement son prochain, et que la majorité rechigne toujours à utiliser son arme, et encore plus à tirer en direction de l’ennemi (il est ici question de l’étude des guerres et batailles historiques rassemblant des troupes souvent mobilisées d’office). Il analyse aussi les phases psychologiques à travers lesquelles passe un individu engagé dans un combat continu de forte intensité, expliquant qu’après six jours continus de combat, personne n’échappe aux séquelles psychologiques. 

 

 

Un des points les plus intéressants est le lien entre la distance et la capacité de tuer. En effet, plus la distance est grande avec l’adversaire, plus il est facile d’engager le feu sans être affecté par la mort de l’autre. Cette distance peut être physique, culturelle, sociale, ou morale. Le plus difficile demeure ainsi le combat au corps à corps. Le moins difficile se manifeste dans le bombardement à distance. A ces relations physiques s’ajoutent toutes les manœuvres psychologiques pour distancier le sujet culturellement, socialement ou moralement (« ils ne sont pas comme nous », « ce sont des animaux », « ils agissent de façon infâme ») et tous les arguments qui permettent de distinguer et éloigner « eux » de « nous ».

Enfin, sont aussi abordés les facteurs d’influence que sont l’autorité, le groupe, l’environnement, la formation du soldat. Sur ce dernier point, il est notamment question de l’évolution des techniques de préparation et d’entrainement avant la seconde guerre mondiale et après. L’entrainement statique au tir sur des cibles rondes sera remplacé par un entrainement dynamique et beaucoup réaliste, sur des cibles ressemblant fortement à des individus, qui tombent une fois touchées. Lors des phases les plus conflictuelles, cette formation pratique des candidats à la guerre sera aussi généralement complétée par un conditionnement psychique qui dévalorise l’adversaire et l’associe à un animal ou un objet, dans un climat d’exacerbation de la violence.

Si l’efficacité au combat s’en ressent (constat réalisé entre la seconde guerre mondiale et la guerre du Vietnam), la désensibilisation au fait de tuer provoque aussi de nombreux massacres, comme celui de My Lai pendant la guerre du Vietnam. Cependant, tout cet exercice de préparation des soldats et de réduction de leur appréhension à tuer se paie généralement à terme par un stress post traumatique (post traumatic stress disorder ou PTSD), très répandu parmi les vétérans de la guerre du Vietnam. On ne force pas la nature humaine en toute impunité.

Enfin, l’auteur achève son livre avec une étude de la violence banalisée servie actuellement dans les films et surtout les jeux vidéos de « shoot them up » très réalistes que nos têtes blondes plébiscitent. A désensibiliser les jeunes générations face à l’action de tuer, ne sommes-nous pas en train de créer de sérieux problèmes pour demain ? Il faut toutefois nuancer son propos qui prend principalement pour exemple la société américaine, dans laquelle les armes s’achètent dans des supermarchés.

 

En conclusion

Un travail très précis et très documenté qui traite avec méthode d’un sujet extrêmement difficile voire malsain. Toutefois, cet ouvrage parait particulièrement nécessaire à ceux qui sont confrontés à la mort et amenés à la donner. Il est utile et rassurant de comprendre que d’une part l’extrême majorité des êtres humains n’est pas programmée pour annihiler son prochain, ce qui donne quelques espoirs sur la nature humaine. Elle a évolué jusqu’à aujourd’hui en s’appuyant tout de même beaucoup plus sur la coopération que l’extermination. D’autre part, sauf pour une catégorie très faible d’individus (je vous renvoie au livre pour plus de détails sur ce point), donner la mort est loin d’être un acte facile. 

Pour clore le propos avec une citation :

« Plutôt périr que ressentir la haine et la peur, et plutôt périr deux fois que susciter la haine et la peur. » (Nietzsche)

 

 

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