Comment fonctionne le travail à distance dans les organisations internationales ? Le cas de l’OTAN

Temps de lecture : 6 minutes

Toutes les discussions actuelles sur le télétravail rappellent que certaines organisations ne vivent que par le travail à distance. Organisations internationales publiques ou privées, elles ont totalement intégré les concepts et les outils du travail non présentiel, entre collaborateurs présents sur plusieurs continents et à cheval sur plusieurs fuseaux horaires. Elles ont ainsi développé des méthodes de management qui leur permettent de prospérer et se développer en réduisant au maximum les contacts entre les personnes et les sites. Contrairement aux apparences, le travail à distance n’est pas qu’une question d’outils informatiques appropriés et de téléconférences au milieu de la nuit. Le secret de la réussite passe avant tout par des procédures adaptées, des contacts humains régulièrement entretenus et une culture professionnelle particulière.

Parmi ces organisations, je vous propose d’étudier une structure qui m’a été familière pendant de nombreuses années : l’OTAN. Il n’est évidemment pas question ici de dévoiler tous les mécanismes de cette organisation, mais de décrire quelques uns des principes de management, qui ne lui sont pas d’ailleurs pas exclusifs, mais qui dans son cas se révèlent indispensables et particulièrement efficaces.

L’OTAN

L’OTAN est une organisation politico-militaire plus souvent abordée sous l’angle de sa place dans les relations internationales, ou bien au travers des missions militaires qu’elle supervise. Or elle est peu souvent décrite sous l’angle du défi en matière de management et de direction humaine qu’elle représente. En effet, en matière de ressources humaines les contraintes qu’elle doit surmonter sont considérables : il s’agit de rassembler toute l’année de l’ordre de 10,000 personnes civiles et militaires provenant de 29 pays différents, dont une bonne partie n’y sont mutées que quelques années, et jusqu’à plusieurs dizaines de milliers supplémentaires en fonction des opérations ou exercices réalisés. Ces personnes travaillent dans plus d’une vingtaine de sites répartis sur plusieurs continents (Europe et Amérique entre autres) dont les activités sont complémentaires, et dont la finalité est par essence imprévue, exigeante et nécessite une forte capacité d’adaptation à tous les niveaux de l’organisation.

Quels sont donc les ressorts qui permettent la direction et la bonne organisation d’une telle structure ?

Ces principes de management peuvent être articulés suivant trois niveaux : la prise en compte des individus dans leur dimension humaine et professionnelle, une organisation rigoureuse des processus et des règles de fonctionnement internes, et une organisation toute entière construite autour de l’amélioration continue.

The NATO Military Committee being briefed at the NATO Joint Warfare Centre (photo : OTAN)

Le niveau individuel

Le milieu militaire impose généralement une culture de l’efficacité. Non pas que les militaires soient dotés de capacités supérieures, mais la proximité du danger et le maniement de matériels dangereux impose une rigueur et une remise en cause permanentes. Ainsi, le contact avec la réalité du terrain force le pragmatisme et les processus de travail n’en sont que plus efficaces.

D’une part, les individus sont souvent très qualifiés et expérimentés, ce qui facilite leur adaptation dans l’organisation et leur flexibilité quant aux emplois et aux situations auxquelles ils auront à faire face. De plus, leur expérience concrète du terrain facilite la mise en place de structures et de processus de travail en ligne avec les objectifs terminaux et la finalité des missions. La répartition des compétences entre les différents niveaux de direction, de la définition des grandes lignes d’une opération jusqu’à l’exécution pratique en passant par la répartition géographiques des moyens, implique les mêmes types de compétences (combat, logistique, renseignement, juridique, etc.). Ces spécialistes disposent généralement d’une formation équivalente et d’une culture professionnelle commune leur permettant de se comprendre et de collaborer efficacement sans qu’un contact direct permanent soit nécessaire.

D’autre part, les aspects purement humains de construction d’une confiance réciproque sont pris en compte et considérés comme essentiels. Chaque séminaire ou réunion d’envergure comporte son événement social (social event) qui permet aux participants de se retrouver en dehors d’un contexte purement professionnel et technique, et d’échanger de façon plus libre. Ce type d’événement est souvent vu comme superflu par certains, qui le considèrent comme une perte de temps et un loisir inutile. Or, il s’agit bien dans ce cas de créer et consolider un vrai et solide lien humain qui survivra à la distance qui séparera ensuite les collaborateurs. Une discussion par téléphone ou par téléconférence n’est pas du tout la même si vous connaissez personnellement les participants ou si vous ne les avez jamais fréquentés que par écran interposé.

La prise en compte de ces deux aspects opposés des ressources humaines, l’approche mécaniste de l’adéquation objective des compétences et de l’expérience avec le poste de travail, et une approche beaucoup humaine de personnalités qui se fondent dans une équipe, est aussi liée à la prise en compte des différences culturelles entre nationalités. En caricaturant un peu, il est possible de distinguer des cultures plus « légalistes », pour lesquelles le règlement est capital, les processus de travail doivent être respectés à la lettre et les rapports humains sont accessoires. Dans cette catégorie se retrouvent globalement les « pays du nord » (je n’en cite aucun volontairement). A l’opposé se trouvent des cultures pour lesquelles les rapports humains et l’échange interpersonnel est essentiel à la construction d’une relation de travail constructive, et pour lesquelles les règlements sont écrits pour faciliter le travail de groupe et non pour le contraindre. Cette deuxième catégorie ressemblent des pays connaissant un comportement identifié comme plus « du sud ». Il faut bien entendu nuancer ces propos, et il est possible d’établir également des différences entre cultures pragmatiques ou cartésiennes. Ces différentes lectures peuvent paraître anecdotiques. Leur prise en compte est au contraire généralement indispensable pour diriger des équipes dont chaque membre aura une analyse de la situation biaisée par une construction et une approche intellectuelle différente. Sans parler de la barrière de la langue.

L’organisation, et c’est le cas de l’OTAN, doit donc prendre en compte et équilibrer l’ensemble de ces caractères objectifs et subjectifs, pour intégrer et respecter toutes les différences culturelles.

Les processus internes

Pour bien organiser un environnement qui compte plusieurs dizaines de nationalités et donc potentiellement autant de coutumes de vie, d’habitudes de travail et d’approches intellectuelles, il n’y a vraiment qu’une solution : la standardisation. La standardisation concerne de nombreux aspects de l’activité professionnelle. Il s’agit des règlements et des procédures pour les tâches techniques, qui doivent être assez clairs et précis pour limiter les marges d’interprétation, en particulier lorsqu’il s’agit d’un environnement dans lequel la confidentialité est importante. La standardisation concerne aussi la méthodologie avec laquelle les projets ou les activités diverses sont élaborées et coordonnées, ainsi que la façon dont les décisions sont prises.

L’OTAN agrège de nombreux sites sur plusieurs continents. Les décisions sont potentiellement élaborées collégialement par des spécialistes aux compétences et intérêts multiples, et prises suivant un cheminement hiérarchique rigoureux. Dans ce cadre, la gestion de l’information est un métier en soi. Dans chaque site, une équipe conséquente est dédiée à la bonne circulation de l’information entre chaque partie prenante, surveillant sa célérité, sa bonne diffusion et sa qualité, s’appuyant sur un progiciel dédié et commun à tous.

Au-delà des aspects purement physiques de l’information (son format et ses flux), la standardisation concerne aussi la manière dont les projets ou les activités sont construits et suivis. C’est ainsi qu’entrent en scène des qualifications en gestion de projet comme Prince2 ou PMP (Project Management Professional). Elles permettent de définir la méthodologie générale du projet (c’est à dire définir précisément quels doivent être les rôles, leurs relations, comment découper le projet, répartir les équipes, rédiger les livrables, assurer la réception des produits, etc.) sans réinventer la roue chaque fois, et en étant sûr d’adopter des méthodes consacrées et éprouvées, qui seront utilisées de façon collégiale immédiatement. C’est ainsi que des programmes regroupant plusieurs projets complémentaires sont initiés au plus haut niveau de l’organisation puis déclinés et répartis sur l’ensemble des sites, avec une coordination et un suivi global normalisés.

Enfin, et surtout dans un milieu militaire, la standardisation concerne les concepts, doctrines et procédures militaires élaborés dans chacun des domaines opérationnels, pour l’ensemble des forces armées concourantes (emploi des forces de chaque armée, coordination des moyens logistiques, sécurisation des zones, normes des matériels, des moyens de communications, ou des codes de transmission). L’objectif étant bien entendu que l’ensemble des militaires de l’organisation, quels que soient leurs nationalités et leur lieu d’emploi, puissent opérer ensemble efficacement et en sécurité.

La standardisation est d’ailleurs un principe de base du Lean Management (voir ici pour plus de détails sur cette approche).

La construction de l’organisation

Enfin, la facilitation du travail à distance se lit dans la structure même de l’organisation. Celle-ci est articulée pour développer son efficacité et améliorer continument son organisation et ses processus. Elle dispose d’un plan d’entrainement global dans lequel chacun des sites participe à des exercices de qualification en fonction de sa spécificité. Ces exercices suivent une montée en puissance progressive fin de préparer les centres à l’ensemble des missions, et surtout les plus exigeantes. Tous ces exercices sont suivis par un commandement dédié à l’évaluation et à la transformation des forces, qui vérifie la préparation des troupes, propose des améliorations voire des innovations, et suit la réalisation des missions réelles ou des exercices, et capitalise le retour d’expérience.

Ce n’est rien moins qu’un système de management de la qualité, suivant le principe de l’amélioration continue, et à une échelle inédite (potentiellement jusqu’à 100,000 personnes voire plus). Nous retrouvons le principe classique du PDCA (Plan Do Check Act) ou de la roue de Deming.

Ce dernier thème peut paraître éloigné de la discussion initiale sur le travail à distance. Néanmoins, cet aspect est capital. En effet, rien ne sert d’imaginer et de mettre en place des procédures qui permettent d’optimiser l’efficacité d’une activité ou d’une entreprise à un instant donné, si rien n’est organisé pour maintenir cette capacité au meilleur niveau en l’améliorant par touches progressives. Un sytème de management de la qualité intériorisé par la structure évite les effets de mode ou de révolution permanente, qui peuvent être constatés dans certaines organisations. Ils sont généralement impulsés par certains nouveaux dirigeants qui aboutissent (enfin) au sommet de la hiérarchie et en profitent pour réorganiser l’ensemble en adéquation avec une vision personnelle des affaires. La manœuvre est fondée sur une indéniable bonne volonté, mais elle ne peut se comparer avec la finesse et l’efficacité d’un système qui s’auto-améliore naturellement et de façon collective.

En conclusion

Travailler au sein d’une telle organisation est un réel privilège. Décortiquer ses mécanismes internes et profiter de la proximité de nombreuses cultures différentes offrent un enseignement inestimable sur les plans humains et managériaux.

Pour faciliter le travail à distance, l’organisation promeut certains principes qui s’appliquent à tous les niveaux de management. Au plan individuel sont favorisés la sélection des compétences et le développement des relations inter-individuelles professionnelles, et aussi personnelles. Au sein de la structure, la standardisation des processus et des méthodes de travail est incontournable. Enfin, l’organisation elle-même est pensée pour entretenir un haut niveau de performance globale, suivant des principes de management et de qualité couramment répandus dans les entreprises modernes.

L’ensemble de ces caractéristiques permet d’articuler et de mener avec efficacité autant de sites dispersés géographiquement, de professionnels aux compétences spécifiques et de nationalités différentes vers des objectifs partagés depuis plus d’un demi-siècle.

Ces trois niveaux représentent les éléments sur lesquels il est intéressant d’agir pour améliorer et consolider le fonctionnement de toute organisation, que ce soit en matière de travail à distance que dans l’ensemble des secteurs de l’activité. De plus, chaque aspect peut être abordé sous l’angle des processus, des outils nécessaires, et des moyens à consacrer : ce thème est développé plus spécifiquement pour le télétravail dans l’article suivant (cliquer ici).

Merci encore de faire partie de nos lecteurs et à très bientôt ! 

Cet article vous a plu ? Rédigez un commentaire, il sera précieux pour les autres lecteurs. 

N’hésitez pas à partager avec vos connaissances, par mail, par whatsapp, par facebook ou par twitter, ce blog est fait pour être lu ! 

Une pensée sur “Comment fonctionne le travail à distance dans les organisations internationales ? Le cas de l’OTAN

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Pinterest