Extraire l’intelligence naturelle

Temps de lecture : 5 minutes

Un premier article a abordé la nécessité d’appréhender les outils numériques et la transformation qui va avec comme un soutien aux activités de l’entreprise et de ses acteurs, à travers un exemple d’actualité (voir ici). Dans la suite sera proposée une démarche d’analyse sous forme de questions. Elle mettra en lumière les domaines qui méritent un peu d’intelligence naturelle, avant toute considération sur l’intelligence artificielle.

Mission, objectifs, processus

Comment extraire toute l’intelligence naturelle disponible avant de se pencher sur l’adoption d’outils numériques ?

Comme déjà évoqué, il s’agit de faire les choses dans l’ordre. En premier lieu, il s’agit de définir précisément ce que l’on doit faire (la ou les missions), et ensuite se donner des objectifs stratégiques. Entre les deux s’exprime la vision de l’entreprise, qu’il est nécessaire de partager dans toute la structure. Il n’est pas encore question d’intelligence ici, mais seulement de vision à long terme et de communication interne. Car même si l’équipe rassemble les plus grands cerveaux naturels ou artificiels du monde, s’ils ne savent pas où aller, et tous ensemble, ils n’iront pas bien loin (sur le thème du partage de la vision et la communication interne liée au rôle de chef, je vous recommande cet article : le chef, gardien des rites).

Après la définition des objectifs vient la sélection des indicateurs adéquats pour mesurer la performance. 

L’analyse des processus consiste ensuite à déterminer comment atteindre ces objectifs. En parallèle de cette analyse, rien n’interdit de commencer à imaginer quels seraient les outils idéaux et parfaits qui permettent des actions plus rapides, plus efficaces et plus économes. Il est aussi possible de déterminer les irritants et les contraintes liés à ces processus. Il est en revanche impératif que ces démarches soient réalisées avec les principaux intéressés, et pas sans, voire contre eux, comme l’exemple de la Poste l’a illustré dans l’article (voir ici).

L’analyse stratégique de votre activité représente donc une étape essentielle et incontournable (l’ensemble de ces aspects seront décrits en détail dans un autre article). L’adoption de nouveaux outils n’est donc pas forcément la première chose à faire, sauf si vous êtes sûr(e) d’être déjà au top dans tous les autres compartiments du jeu, comme on dit dans le Sud-Ouest. Pour le savoir, il est nécessaire de répondre à certaines questions.

Etes-vous au top ?

Pour bien s’en rendre compte et s’efforcer d’utiliser toute l’intelligence naturelle disponible, voilà les questions auxquelles il est de bon ton de posséder une réponse solide.

  • Qu’est-ce que je dois vraiment faire ?

En effet, il est possible qu’une partie de vos activités soit effectuée par habitude, et qu’elles ne sont finalement pas si importantes. Dans ce cas, vous pourriez les déléguer ou les réduire (avec un outil ou tout simplement les supprimer car non stratégique).

  • Est-ce que je le fais bien ? 

Pour bien répondre à cette question, il faut pouvoir mesurer sa performance à atteindre les objectifs clés, et donc mettre en place des indicateurs appropriés : nombre de ventes, nombres d’invendus, temps moyen de réalisation d’un chantier, etc.

Il est parfois difficile de mesurer, car certaines personnes peuvent se sentir jugées, d’autant que tous les indicateurs ne sont pas toujours très précis ou pertinents. Mais si vous ne mesurez rien, vous ne pourrez pas vous améliorer. Par exemple : essayez donc d’évaluer si vous améliorez votre performance à la course à pied sans jamais vous chronométrer !

Si vous n’avez pas d’indicateurs pour vos objectifs les plus importants, et si vous n’avez pas de méthode pour analyser les résultats, rejoindre ces objectifs, ni de stratégie pour vous adapter, commencez par là.

Quels indicateurs ? Par exemple : dans la vente, des objectifs de CA, de volume de contrats, de rotation du stock ; dans l’industrie, des objectifs de productivité, de temps de travail par opération, de réduction des incidents de production et temps d’arrêts de chaine, de réduction des accidents de travail ; dans l’administratif, des objectifs de nombre de tâches traitées par jour, de temps d’attente des dossiers, de temps d’accès à une information, de nombre de demandes en attente, etc.

De toutes façons, si les processus sont peu optimums ou si certains problèmes sont récurrents, vous devriez vite le savoir : le mécontentement ambiant sera un signe assez révélateur. Si la solution n’est pas si évidente et que vous n’avez jamais rien mesuré, il est alors plus difficile d’adopter une analyse rigoureuse et trouver une solution pertinente.

  • Est-ce que je peux faire mieux ?

Pour améliorer les processus, un certain nombre de méthodes existent. Ils peuvent par exemple être examinés à la lumière des valeurs ajoutées et non-valeurs ajoutées, chères au Lean Management (voir ici) et qui seront expliquées dans un autre article (n’hésitez pas à me laisser en commentaire si ce type de sujet vous intéresse particulièrement).

En résumé, vous prenez un processus, par exemple : cuire un oeuf (oui ce n’est pas très répandu dans un cadre professionnel, mais c’est juste pour l’exemple). Ensuite, vous décomposez toutes les actions de ce processus : je vais chercher une casserole dans le tiroir, je la prends tout au fond du tiroir, je l’apporte à l’évier, je la remplis d’eau, je vais vers la plaque chauffante, je fais chauffer la casserole, je vais chercher la boite à oeuf, je prends un oeuf, je le plonge dans la casserole, j’attends 10 min, …

Ensuite vous faites le tri entre les actions qui représentent une valeur ajoutée (VA), celles pour lesquelles le client veut bien payer, et celles qui représentent une non-valeur ajoutée (NVA), les autres. Parmi ces dernières, on trouve aussi les non-valeur ajoutées nécessaires (NVAN), en gros les opérations indispensables mais pas sur la chaine de création de valeur.

En gros pour cet exemple, les vraies opérations à valeur ajoutée sont : j’attends 10 min que l’oeuf bouille dans sa casserole remplie d’eau. Le fait de récupérer la casseroles et la remplir d’eau sont des NVAN, car il faut bien passer par là, mais ça n’apporte rien à l’oeuf. Le fait d’aller chercher une casserole au fond du tiroir est une NVA, car si le tiroir est mieux rangé ou si la casserole est disponible près de la plaque, je gagne du temps.

Bref, vous avez compris que si vous rangez mieux la cuisine, vous économisez des opérations NVAN ou NVA, et si vous adaptez le processus, avec une casserole déjà remplie ou en utilisant un système de chauffe mieux adapté vous pouvez optimiser encore.

  • Et moins cher ?

Pour cela, il faut en plus compter les coûts générés par chaque opération et les analyser.

  • Est-ce que ce je fais est de mon niveau ?

Dans l’étude des processus (ou celle des valeurs ajoutées), il est nécessaire d’examiner les sous-actions réalisées par chaque acteur afin de se demander si elles sont de son niveau ou si elles peuvent être déléguées à une personne mieux placée ou dont le temps est moins précieux.

  • Est-ce que je perds du temps ?

Un autre approche repose sur l’analyse SMED (single minute exchange of die), qui consiste à réduire les temps de passage d’une tâche à une autre (même remarque, n’hésitez pas à me laisser en commentaire si ce type de sujet vous intéresse particulièrement, le sujet sera néanmoins abordé dans le détail plus tard). 

En gros, cette approche est utilisée pour un opérateur qui peut réaliser différents types d’opérations (tapper du marteau ou visser par exemple) avec des outils (ou processus) différents. Le but est de minimiser le temps de latence entre une opération et l’autre. Toute l’analyse repose sur une décomposition de toutes les actions et sous-actions nécessaires pour passer d’un processus à l’autre, et ne garder dans le chemin critique que celles indispensables et réduire les autres ou les réaliser en temps masqué (par quelqu’un d’autre par exemple).

Par exemple, pour passer du marteau au tournevis, je peux aller les chercher à l’autre bout de la pièce (bof) ou je peux les avoir autour de la ceinture (mieux) ou je peux les avoir au bout d’un fil élastique qui pend devant moi, et ne même pas perdre de temps à les chercher. Et je vais encore plus vite.

Quels outils ?

Ce n’est qu’après que toutes ces approches aient été réalisées qu’il est opportun de s’interroger sur les outils. Les outils facilitent les processus, mais sans une analyse précise de ces derniers, il existe un danger que ce soient les processus qui s’adaptent aux outils, voire que les objectifs finaux soient détournés. Certes il est souvent nécessaire de se former aux outils et leur faire une place dans l’environnement général, mais ils doivent s’intégrer au sein des processus et ne pas s’y opposer. Demandez encore une fois aux facteurs ce qu’ils en pensent.

De plus, un outil ne doit être adopté que s’il s’avère économiquement intéressant, ce point sera abordé plus tard. Dit autrement, il faut que son ROI (return on investment pour les anglophobes) soit positif. Cela semble probablement évident, mais combien d’outils numériques sont achetés pour leur seul caractère novateur ou innovant, en dehors de toute considération financière ? Ou encore, combien d’outils sont installés sur le calcul théorique d’un bénéfice, qui n’existe finalement pas (et qui n’est d’ailleurs probablement jamais réévalué a posteriori non plus) ? Car un outil numérique (intelligence artificielle ou autre) coûte souvent assez cher, donc s’il n’est pas possible de compenser ce coût avec un bénéfice au moins équivalent, la question se pose.

La transformation numérique, le big data et l’intelligence artificielle restent des outils dont l’intérêt et le bénéfice se mesure, à l’ancienne. Et avant de se lancer à corps perdu dans une révolution numérique à la mode, il est souvent très utile de partir de l’analyse de son organisation et d’étudier les améliorations à y apporter, avant d’adopter de nouveaux outils par principe.

Conclusion

Les outils ne vous aideront pas à redéfinir ni améliorer des processus qui ne sont pas optimisés. Certains outils permettront d’aller plus vite ou d’être plus précis. Mais toute l’analyse de « comment » on réalise les choses doit être antérieure au « avec quoi » ? 

Et cette analyse nécessite de l’intelligence naturelle !

Continuez sur cette thématique avec le prochain article : pourquoi donc remplacer les êtres humains ?

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