Crash du F-35B de la RAF : qui est coupable ?

Temps de lecture : 6 minutes

Le 17 novembre 2021, le Lockheed Martin F-35B Lightning II ZM152 de l’escadron 617 de la Royal Air Force (RAF) s’abime en Méditerranée juste après son décollage du HMS Queen Elizabeth. Alors que le navire dépasse l’épave, une protection d’entrée d’air (protection qui permet de boucher l’entrée d’air de l’appareil pour éviter que des animaux ou des objets s’y introduisent) flotte librement aux côtés de l’appareil en train de sombrer.
La perte de cet avion de chasse de 150 M€ est-elle simplement due à la négligence ou à l’incompétence d’une seule personne ? Non. L’enquête montrera que la réalité est plus nuancée, comme dans la plupart des accidents qui interviennent dans les organisations complexes. Le rapport d’enquête de 148 pages, publié par l’Autorité de sécurité de la défense le 10 août 2023, a identifié des facteurs organisationnels systémiques. Il faut pour cela comprendre le contexte organisationnel de l’accident, et pas seulement les actions des individus dans les minutes et les heures qui ont précédé l’accident.

En effet, dans ce type d’environnement très élaboré et dangereux qu’est le pont d’envol d’un porte-avion, il est nécessaire de prendre en compte toutes les « plaques de Reason » et analyser finement les procédures mises en oeuvre, leur efficacité, leur bonne connaissance, et le contexte humain dans lequel opère le personnel.

Cet article reprend les éléments exposés dans l’article sur le site Aerossurance.com : « The Loss of RAF F-35B ZM152: An Organisational Accident ».

Que s’est-il passé ?

L’accident a été causé par la présence de la protection d’entrée d’air qui bouchait en partie l’arrivée d’air du moteur de l’avion au moment du décollage.

L’avion a donc subi des problèmes de puissance moteur l’empêchant de réaliser le décollage prévu. Le pilote a tenté d’abandonner le décollage, mais l’avion n’a pas pu s’arrêter avant la fin de la rampe.

Le pilote a réussi à s’éjecter, et a été récupéré avec des blessures mineures, l’avion est tombé dans la mer et a coulé. Il a été récupéré plus tard.

Voir un décollage normal ici et la vidéo de l’accident là.

150 M€ perdus pour une protection à 100€ : la faute à qui ?

Avant chaque vol, tous les pilotes procèdent à une inspection visuelle de leur avion, la plupart du temps avec les mécaniciens de maintenance, pour s’assurer de la bonne disposition de l’appareil pour le vol, que ce soit sur un porte-avion ou sur une piste normale. Au préalable, il est de la responsabilité de l’équipe de maintenance de préparer l’appareil pour son vol, dans la configuration requise par la mission, en ôtant évidemment toutes les protections.

La réaction la plus directe et la plus naturelle serait donc d’incriminer le spécialiste de maintenance, pour avoir mal préparé l’avion sans vérifier qu’il était intègre pour le vol. Or, ce n’est pas la conclusion de l’enquête qui analyse l’ensemble des facteurs présents, les plaques de Reason, et qui donne une conclusion bien différentes.

En effet, la connaissance des conditions dans lesquelles l’accident s’est produit permet de mieux comprendre le caractère structurel et organisationnel de l’accident. Ces conditions n’apparaissent pas au premier abord et nécessitent une enquête objective et approfondie. Dans ces circonstances assez dégradées, l’accident correspond à la réalisation d’une probabilité de plus en plus forte, qui n’attend qu’un événement déclencheur souvent fortuit pour se déclencher.

Le contexte général

Travailler en tant que spécialiste de maintenance sur un porte-avions, un immense navire militaire dédié aux opérations aériennes, est une tâche exigeante et complexe. Dans cet environnement confiné et souvent surpeuplé, ces professionnels sont chargés de l’entretien, de la réparation et de l’inspection des avions militaires embarqués, des machines sophistiquées dotées de systèmes électroniques complexes et de technologies sensibles. Cette maintenance exige une expertise pointue pour diagnostiquer et résoudre des problèmes divers, des moteurs aux armements. De plus, la sécurité est primordiale, et ils doivent suivre des protocoles stricts pour garantir la sûreté des opérations, ce qui devient d’autant plus crucial dans le contexte des opérations militaires. Le temps est une contrainte majeure, car les missions sont souvent déployées rapidement, nécessitant une maintenance rapide et efficace. Une formation continue est indispensable pour se maintenir à jour des technologies émergentes et de l’évolution des procédures. La collaboration et la communication entre les membres de l’équipe sont essentielles pour coordonner les opérations complexes et variées dans un laps de temps limité. Dans l’ensemble, le travail de mécanicien de maintenance sur un porte-avions demande une combinaison unique de compétences, de connaissances spécialisées et d’adaptabilité pour répondre aux défis uniques de cet environnement professionnel exigeant.

La problématique des éléments de protection

Dans le rapport, plusieurs problèmes de sécurité liés aux protections d’entrée d’air et aux équipements de sécurité, tels que les « Red Gear », sont mis en évidence. Tout d’abord, l’accident résulte de l’échec à repérer et retirer une protection avant le décollage, probablement cachée à l’intérieur du conduit, illustrant le besoin crucial de suivre des procédures de maintenance adéquates et d’avoir une comptabilité précise de ces équipements. De plus, le manque de formation appropriée et de directives claires pour l’installation et le retrait de ces écoutilles soulève des inquiétudes quant à la sécurité des opérations aériennes. De même, des lacunes dans le stockage et la gestion des « Red Gear » sont signalées, affectant leur disponibilité et leur bonne utilisation en cas de besoin, d’autant que de nombreuses protections sont perdues en mer suite à des coups de vents pendant la navigation. Enfin, l’impact des conditions météorologiques et de l’utilisation de filtres de lumière colorée sur l’efficacité des inspections et sur la visibilité des équipements de sécurité souligne l’importance de considérations environnementales dans les opérations de maintenance et de sécurité.

Événements précédant l’accident

Le 14 novembre 2021, le pont d’envol était fermé pour un service du dimanche du Souvenir, et environ 20 personnes ont eu besoin de soins médicaux en raison de la chaleur. Le 15 novembre 2021, il n’y avait pas de vols en raison d’événements liés à la sécurité des vols et à la formation de rafraîchissement pour les opérations sur le pont d’envol. Le 16 novembre 2021, le HMS Queen Elizabeth a traversé le canal de Suez, et des équipements de sécurité appelés « Red Gear » devaient normalement être installés. L’enquête montre que rien n’indique que l’ordre ait été clairement transmis ou exécuté, d’autant que pendant le transit le pont d’envol, ou se situait les avions, était interdit au personnel de maintenance. Le cumul des conditions météorologiques éprouvantes, des mouvements de personnel dans les équipes et des approximations quant au respect des procédures a fortement réduit les marges de sécurité.

Les conclusions de l’enquête

Selon l’enquête, voici une liste des facteurs contributifs et aggravants identifiés dans l’accident :

  1. Facteurs Contributifs:
    a. Problèmes de Maintenance:
    • Installation incorrecte des écoutilles d’admission d’air (« intake blanks ») dans le moteur.
    • Manque de procédures claires et efficaces pour la maintenance et l’installation des « Red Gear ».
    b. Communication et Coordination:
    • Communication insuffisante concernant la nécessité d’installer le Red Gear.
    • Absence de partage d’informations cruciales sur le Red Gear avec tous les membres de l’équipe concernée.
    c. Météorologie et Conditions Environnementales:
    • Conditions météorologiques venteuses et pluvieuses affectant la maintenance et les inspections sur le pont d’envol.
    d. Formation et Connaissance:
    • Manque de formation adéquate sur les procédures de maintenance et de sécurité, en particulier en ce qui concerne le Red Gear.
    e. Culture et Perceptions:
    • Perception que le Red Gear ne représentait pas une menace pour la navigabilité de l’aéronef, ce qui a conduit à des pratiques moins rigoureuses dans son traitement.
    f. Gestion des Outils et de l’Équipement:
    • Stockage inapproprié et mauvaise organisation des outils et de l’équipement, rendant difficile la vérification des pièces manquantes.
  2. Facteur Aggravant:
  • Surcharges Organisationnelles et Ressources Insuffisantes:
    • Pénurie de personnel qualifié et manque de continuité dans les équipes de maintenance, ce qui a conduit à des conditions de travail exigeantes et stressantes.
    • Manque de ressources en personnel et insuffisance des procédures, exacerbant les risques liés à la maintenance et à la sécurité des opérations.

Ces facteurs ont contribué à l’accident en compliquant la maintenance de l’avion et en négligeant la nécessité de retirer correctement les écoutilles d’admission d’air avant le décollage.

Conclusion

L’analyse complète et structurée d’un accident ne se contente pas d’examiner les événements de manière superficielle, elle vise à pénétrer au cœur même de l’incident pour en découvrir les causes fondamentales. Le concept des plaques de Reason est un outil fondamental. En plus d’épargner des opérateurs boucs-émissaire facile à identifier, mais empêtré dans un engrenage structurel et dépassés par les événements, cette approche profonde est cruciale pour plusieurs raisons essentielles.

Premièrement, elle offre une compréhension approfondie de l’accident, permettant d’aller au-delà des faits pour comprendre les raisons sous-jacentes. Elle implique d’examiner non seulement ce qui s’est passé, mais aussi pourquoi cela s’est produit.

En creusant profondément, cette analyse identifie les causes profondes, souvent masquées par des causes immédiates évidentes. Ces causes racines peuvent être liées à des lacunes dans les procédures, la culture organisationnelle, la formation ou la conception des systèmes.

L’objectif final est de prévenir les récidives. En s’attaquant aux causes racines, on peut élaborer des mesures correctives et préventives efficaces pour empêcher que l’accident ne se reproduise. Il est nécessaire de concevoir des solutions durables et efficaces, allant bien au-delà de simples correctifs temporaires.

En adoptant cette approche, l’allocation des ressources s’en trouve également optimisée. On cible les véritables problèmes plutôt que de simplement corriger les symptômes. Les investissements ont ainsi un impact plus durable et significatif.

Au-delà de la correction des erreurs, cette méthodologie encourage l’amélioration continue et une gestion proactive des risques. En identifiant et en traitant les causes racines, une organisation progresse constamment, améliorant ses processus, systèmes et culture de sécurité.

Enfin, cette approche encourage la responsabilité et la redevabilité au sein de l’organisation. Identifier les causes racines favorise une culture où chacun reconnaît l’importance d’assumer la responsabilité de ses actions et travaille ensemble pour prévenir les erreurs.

Je vous recommande la lecture des enquêtes sur les accidents aéronautiques disponibles sur les sites des BEA ou BEA-É, particulièrement bien structurées et exhaustives. Chaque moyen de transport dispose de son propre bureau d’enquête et d’analyse. Nous pouvons ici remercier la Royal Air Force pour sa transparence, qui nous offre une enquête et une leçon de management passionnantes.

Merci encore de faire partie de nos lecteurs et à très bientôt ! 

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