Les trois étapes de la progression d’un manager

Temps de lecture : 7 minutes

Comme l’ensemble des articles de ce site s’attache à le démontrer, diriger des personnes est une activité particulièrement stimulante, épanouissante et valorisante, mais difficile. On ne devient pas un grand chef du jour au lendemain. Malgré ce qu’on peut entendre parfois, il n’existe pas, ou très peu, de leaders nés. Même ceux qui paraissent très à l’aise avec un rôle de chef se sont préalablement construits sur des exemples et des expériences personnelles. De plus, il n’est possible de progresser que par l’étude et la pratique. En effet, diriger des groupes de plus en grands n’est pas inné et nécessite la maîtrise d’outils et de processus pas toujours évidents.

Cet article explique les phases de progression d’un chef, que tous ont connu, à partir de leur première affectation jusqu’à une certaine aisance dans la discipline. Ces trois étapes peuvent paraitre caricaturales, car la progression est toujours continue et nécessite un cheminement plus ou moins long, suivant les individus et les expériences vécues. Toutefois, elles correspondent très bien au parcours personnel et intellectuel que chaque chef doit et devra suivre. Elles sont également liées à l’évolution des responsabilités liées à l’augmentation de la taille du groupe qui est dirigé. Ces étapes correspondent parfaitement à celles que j’ai dû suivre, de mes premières années jusqu’à aujourd’hui. N’hésitez pas à me confier vos impressions et commentaires personnels sur votre propre progression.

La phase de construction individuelle

Du troupeau au berger

La première difficulté vécue est celle de sortir du troupeau, que ce soit le groupe dans lequel on a évolué précédemment ou l’école qui vous a formée, et d’être placé à la tête d’une équipe. D’une part, en tant que responsable il est nécessaire d’endosser le rôle de chef et donc de se positionner au-dessus de la mêlée. D’autre part, les membres de votre équipe vous feront vite sentir que les relations que vous entreteniez avec eux ne peuvent plus être les mêmes. Comme vous disposez d’un pouvoir d’évaluation et de jugement, voire de sanction sur eux, la relation amicale ou cordiale trouve ses limites. Vous ne pourrez plus avoir les mêmes liens. 

Apprentissage de la solitude

Ainsi, la première sensation éprouvée par le jeune chef est celle de la solitude. Vis-à-vis de ses anciens pairs, avec qui le copinage peut être délicat, et vis-à-vis de son propre chef, qui marquera lui-même une distance. Cette nouvelle situation peut être éprouvante psychologiquement, en particulier dans les environnements compétitifs ou tendus. Cette solitude est d’ailleurs peu expliquée dans les écoles de management et les formations supérieures. Elle peut être mal vécue, mais elle est incontournable. Il donc nécessaire de s’y préparer et de l’accepter.

Apprivoisement et maitrise de la distance sociale 

En tant que jeune chef, il est nécessaire d’identifier cette solitude, qui se traduit par une distance dans les relations que vous entretiendrez avec vos collaborateurs comme avec vos propres responsables. Avec les premiers, il ne faut pas la considérer comme un désamour ou un rejet de leur part. C’est à vous de régler et évaluer cet éloignement qui vous permettra : 1- quand il est assez grand, de donner des directives de façon efficace et sans trop de contestation, 2- quand il n’est pas trop grand, d’être suffisamment abordable pour stimuler la discussion et la contestation si nécessaire. Il faut donc doser, en fonction de votre personnalité, de votre environnement et de vos collaborateurs. Cela peut paraitre paradoxal mais c’est justement toute la difficulté de l’exercice : vous avez besoin d’être écouté et suivi, mais vous avez aussi, et surtout, besoin qu’on vous parle et prévienne des erreurs, imprécisions ou problèmes auxquels vous n’avez pas pensé et qui pourraient provenir des consignes que vous donnez. Donc attention à la trop grande distance sociale que vous pourriez imposer, par peur ou par inconfort, et qui vous coupera des retours salutaires de vos collègues. Ne tombez pas dans le syndrome de la tour d’ivoire ! 

Attention à l’excès de proximité

A l’inverse, vos collaborateurs ne sont pas vos copains captifs : attention aux familiarités excessives et marques d’irrespects, dans lesquelles vous pourriez glisser avec d’autant plus de facilité que personne n’osera vous reprendre. Ces situations ne sont jamais pérennes, et peuvent dégénérer voire basculer dans le harcèlement. Restez professionnel ! Si vous jouez trop avec les limites de l’acceptable, vous pouvez être accusé de harcèlement, même de façon abusive. Vous pourrez en sortir blanchi, mais vous aurez perdu un temps incroyable à vous justifier, de la crédibilité et de la productivité dans vos équipes. Considérez chacun des membres de votre équipe, respectez-le et mettez-vous à sa place.

La distance comme avantage

La distance entre vos collaborateurs et vous n’est pas qu’un inconvénient. Il faut savoir l’exploiter. Si vous la maîtrisez bien, votre position vous placera dans un rôle de confident professionnel, voire personnel, unique. Soyez assez proche et posez les bonnes questions, et vous en apprendrez infiniment sur les subtilités du fonctionnement interne du groupe, et sur chacun de vos collaborateurs. Cette connaissance sera très précieuse pour améliorer les processus, placer les bonnes personnes aux bons postes, faciliter la vie de tous et in fine gagner en efficacité.

La phase de renforcement de l’équipe

Une fois qu’il a maîtrisé les relations interpersonnelles avec ses collaborateurs et ses propres chefs, la seconde phase de la progression d’un manager passe par la construction d’une équipe soudée et motrice.

Comprendre l’équipe

Il est tout d’abord important de comprendre de quoi il est question exactement. En effet, il n’y a pas de chef sans équipe, et il existe une différence entre des individus qui travaillent ensemble et une véritable équipe soudée. Une équipe possédera une dynamique propre, ses codes, son histoire, ses références, des lieux de vie et d’échanges, et bien entendu ses règles et ses objectifs. Tous ces caractères devront être maintenus et stimulés par le chef, qui en sera le garant. Les membres contribueront à organiser et améliorer les rites de l’équipe, mais c’est au chef de se placer comme leur gardien et leur animateur (voir article sur le chef gardien des rites).

Créer une équipe

Que vous repreniez une équipe existante, ou que vous créiez une équipe à partir de rien, il faudra vous adresser formellement au groupe, pour ajouter votre marque ou pour créer un dynamique à partir de zéro. Ces premiers contacts et prises de paroles sont importants car ils marqueront la position et l’ascendant que vous comptez imprimer sur l’équipe, et la dynamique que vous souhaitez lui insuffler. Préparez bien vos premiers discours, montrez votre caractère positif et constructif, et définissez vos premiers objectifs, professionnels et relationnels. Votre exemple marquera le savoir-être et les comportements généraux au sein de votre équipe.

Maintenir l’équipe

Les occasions de prise de parole face au groupe représentent un forum privilégié pour marquer votre investissement dans l’équipe et lui donner une énergie propre, dans le sens que vous souhaitez. Outre les réunions régulières de suivi des activités courantes, je vous conseille de prendre la parole formellement devant le groupe que vous dirigez au moins tous les deux mois. Ces instants vous permettront de faire un bilan de la période écoulée, donner vos objectifs pour les mois à venir, et partager votre sentiment personnel de l’actualité. Vous pourrez avantageusement combiner ce moment avec une activité de cohésion ou un instant de discussion informel avec vos collaborateurs, via un repas ou une sortie organisée. Ces moments seront autant de rites pour renforcer des liens dans l’équipe, comme des réunions de famille professionnelles.

De plus, veillez à être informé de ce que tout ce qui concerne votre équipe. Évitez les sollicitations extérieures non maîtrisées. Vous êtes le responsable et le protecteur de votre équipe : soyez présent pour elle et faites-le savoir.

Renforcer l’équipe

Sachez sentir les périodes de tension et de difficulté, et intervenir pour créer des moments de détente et de relâchement afin de libérer la pression. Vous pouvez changer le rythme en allégeant la charge de travail quand vous sentez que la machine s’emballe, que des raccourcis sont pris concernant la sécurité par exemple, ou que certaines tensions apparaissent entre des personnes ou des services. Vous pouvez également attendre la fin d’un cycle professionnel (fin d’une période d’activité intense ou proximité de vacances) pour organiser une sortie cohésion, un repas ou un vin de l’amitié (une journée, une demi-journée ou simplement une heure). Ce sera une occasion parfaite pour vous exprimer devant le groupe et affirmer votre rôle de chef, remercier le groupe pour le travail accompli et lui offrir un instant de détente partagé. 

Outre l’organisation d’activités qui concernent l’équipe dans son ensemble, vous devez être vigilant sur les sentiments et impressions qui circulent parmi vos collaborateurs. Transformez-vous en une sorte de juge de paix permanent pour les accrochages entre membres du groupe et vis-à-vis des objectifs professionnels imposés. Agissez comme un confident voire un psychologue parfois, mais sans excès, quand des collaborateurs auront besoin de livrer leur for intérieur ou certains problèmes personnels qu’ils arrivent difficilement à régler ou partager. Vous gagnerez leur confiance et renforcerez votre crédibilité. Vous possèderez également une meilleure connaissance de votre environnement, ce qui vous procurera une meilleure capacité d’anticipation et de décision.

La phase de maîtrise des dynamiques du groupe 

Enfin, après quelques années de pratique, vous n’aurez plus aucun problème à prendre la tête d’une équipe quelle qu’elle soit. Vous saurez parfaitement comment la diriger, la motiver et la porter vers le succès. Vient alors le temps d’étendre encore vos responsabilités et le volume de vos collaborateurs, jusqu’à plusieurs dizaines voire centaines de personnes. Il ne sera alors plus possible de diriger « à la voix » ou de façon directe, car le volume de personnes et les tâches à réaliser sont trop importantes. Votre rôle sera donc d’édicter des objectifs plus larges et de fixer le cadre général de l’action. D’autres problématiques et défis se présenteront alors à vous (tous ces éléments sont développés dans le livre « Soyez chef pas manager »).

Orienter le mammouth

Comme dans toute organisation suffisamment grande pour qu’il ne soit pas possible à une seule personne de tout visualiser et diriger, il vous sera nécessaire de vous appuyer sur une administration ou tout du moins des processus administratifs : c’est-à-dire des directives générales, des méthodes de direction et de contrôle, et une communication interne. Il faudra donc vous intéresser à la définition d’une stratégie générale, qui fixera des objectifs de long terme, et qui sera déclinée par branche et/ou par service. Il est également important de dresser une liste des risques liés à votre activité, et établir une matrice ou des mesures de contingence minimale au moins dans les cas les plus pénalisants. Enfin, en lien avec la communication externe et la communication interne, vous pouvez développer un corpus de valeurs et de principes clés qui représentent votre entreprise ou la branche que vous dirigez, et que vous souhaiterez diffuser au sein de vos équipes. 

Structurer la masse

A ce stade, vous disposez probablement de plusieurs niveaux hiérarchiques, et vous serez probablement amené à réfléchir à la bonne répartition des tâches et responsabilités entre ces différentes couches de management. Il vous faudra déterminer la bonne dose de subsidiarité et de contrôle pour laisser le maximum de latitude à vos subordonnés, sans perdre de vue la cohérence d’ensemble des objectifs intermédiaires et sans tomber dans le micro-management. A vous également de mettre en place et affiner les indicateurs et procédures bottom-up de supervision et d’amélioration continue. En parallèle de ces remontées d’information structurées, vous aurez probablement besoin de construire vos propres relais et signaux faibles internes, qui vous permettront de confirmer plus concrètement par le terrain les informations que vous recevrez sur de beaux graphiques powerpoint ou sur papier glacé.

Le groupe comme entité intelligente

Derrière l’organisation explicite établie par les procédures et la structure hiérarchique se cache la véritable compétence invisible et insaisissable de votre groupe. Je veux parler de l’expertise et la connaissance de chacun des spécialistes, et leur capacité à fonctionner ensemble. Ces compétences se construisent au quotidien par le contact entre vos collaborateurs, et leur réalisation collective. Elles n’existent réellement que dans les savoirs et savoirs-faire individuels et collectifs. Ils sont très difficiles à extraire et diffuser hors de la transmission personnelle directe. C’est la véritable richesse de l’entité dans laquelle vous travaillez. De ce fait, il est capital de la garder en maintenant les personnes et les structures en place, de la faire vivre en formant de façon régulière des spécialistes, et de la transmettre à travers des processus de captation et de transmission de l’expérience. 

De plus, si vous souhaitez stimuler et capter l’innovation interne, vous devrez mettre en place un environnement qui permette à chacun de développer et tester leurs idées, accepter l’échec éventuel et établir des procédures avec lesquelles il sera possible de les mettre à profit pour le groupe et les étendre éventuellement à d’autres services. 

Conclusion : valeurs et exemplarité comme guide fondamental

Chaque étape de la progression d’un manager comporte des défis et des compétences à développer. Plus les responsabilités et la taille du groupe dirigé augmentent, meilleure sera la maîtrise des techniques standards de management (vous pourrez les trouver dans le livre « Soyez chef pas manager »). Vous verrez également que les éléments les plus immatériels et insaisissables auront de plus en plus d’importance. Il est capital de comprendre que la richesse et la force d’une organisation réside avant tout dans ses connaissances, ses valeurs ajoutées, la force de sa relation client et la qualité de ses produits. Ces paramètres sont une conséquence directe de l’état d’esprit qui existe dans le groupe, sa capacité à s’améliorer en continu, à ne pas accepter les défauts et à se réinventer en permanence, face à un environnement en évolution constante.

Il n’existe pas de processus parfait, de recette universelle, si ce n’est une éthique de management irréprochable, une grande ouverture d’esprit et une attention constante à ce que chacun(e) puisse donner le meilleur de lui(elle)-même. Les techniques de management élémentaires pour stimuler un groupe ou motiver un collaborateur sont essentielles, mais le plus important reste d’adopter une attitude exemplaire et des valeurs positives unanimement partagées, pour développer l’ensemble du groupe vers le succès collectif et l’excellence. Le reste viendra naturellement.


Vous souhaitez prendre connaissance de tous ces réflexes et bonnes pratiques indispensables dans un rôle de chef ? Procurez-vous, en cliquant ici, le livre « Soyez chef pas manager » : pour comprendre tous les mécanismes et être à l’aise avec un poste de cadre, dirigeant, manager. 

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