Améliorer la productivité en responsabilisant : Kurt Lewin et la dynamique des groupes

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Kurt Lewin (1890 – 1947) est considéré comme un des pères de la psychologie sociale moderne et de la dynamique des groupes. De formation scientifique, il s’est très tôt intéressé à la psychologie et notamment à l’influence du milieu et des motivations sur les comportements des individus. Le contexte particulier de l’époque troublée qu’il traverse, sa participation à la première guerre mondiale et son expulsion d’Allemagne du fait de sa religion juive, orientent ses réflexions et son objet d’étude vers la psychologie sociale. Kurt Lewin nous lègue quelques unes des expériences et des constations les plus influentes de la discipline.

En effet, après des bases jetées par Gustave Le Bon (Psychologie des foules, 1895), Gabriel Tarde (Les lois de l’imitation, 1890) ou Norman Triplett (concept de facilitation sociale, 1897), cette discipline connait un développement soutenu à partir de la moitié du XXe siècle, notamment sous l’impulsion de l’organisation scientifique du travail (Taylorisme) et l’influence de la seconde guerre mondiale (formation des soldats et désensibilisation de l’acte de tuer, étude des épisodes les plus sombres comme les camps d’extermination). 

La dynamique des groupes en milieu professionnel

Dans le contexte particulier du taylorisme et de l’amélioration de la productivité des ouvriers, Elton Mayo et ses collaborateurs menèrent des études au sein de l’usine Western Electric de Hawthorne (1945), sur un groupe de six travailleuses. Il s’agissait de faire varier certaines conditions extérieures (éclairage, rythme de travail, etc.) pour étudier l’augmentation de leur rendement. Après avoir établi des conditions de travail idéales, le résultat inattendu de l’expérience fut que, de retour à la situation de travail initiale, le rendement du groupe resta plus élevé que la moyenne. Cette amélioration de rendement n’était de fait pas liée à l’amélioration des conditions de travail mais à la bonne entente et à la solidarité des ouvrières, renforcées par le prestige d’avoir été sélectionnées pour l’expérience. 

Kurt Lewin, qui développait le projet « d’humanisation du système de Taylor », alla plus loin dans ces considérations. Il expérimenta le travail en équipes autonomes dans une usine de fabrication textile, et confia à une équipe le soin de déterminer elle-même ses objectifs et ses méthodes de production. Le résultat, confirmé par d’autres expériences similaires, fut une augmentation de productivité de l’ordre de 20%. 

A partir de ces expériences, Kurt Lewin établit le concept de dynamique des groupes restreints (1947). Il s’agit de groupes jusqu’à une douzaine de membres qui se connaissent bien, en forte interaction et interconnaissance, développant une culture interne, des valeurs et des normes propres. La modification de leurs comportements est beaucoup plus dépendante des interactions internes qu’ils entretiennent que de facteurs externes. 

Théorie du leadership

Il effectua également des expériences sur des groupes d’enfants réalisant des activités manuelles dans un centre de loisir, afin d’expérimenter l’effet du style de leadership de l’animateur sur la performance du groupe : 

– leadership directif : l’animateur donne des ordres sans contestation permise et donc sans grande interaction avec les enfants,

– leadership participatif : l’animateur établit le cadre général de l’exercice, en laissant une grande marge de manœuvre et d’interaction aux enfants,

– aucun leadership ou « laissez-faire » : l’animateur se borne à surveiller les activités du groupe.

Les résultats montrent que la qualité du travail est maximisée dans le cas du leadership participatif. De plus, le climat général est également bien meilleur, alors que le cas de leadership autoritaire crée une ambiance soit beaucoup plus agressive, soit apathique, dans laquelle les enfants se désintéressant finalement de l’activité et du groupe. 

Vous trouverez ici une vidéo exposant cette expérience.

Les bases de la théorie de l’engagement

Le gouvernement américain sollicite Lewin pour pour changer les habitudes alimentaires des familles pendant la seconde guerre mondiale. Il s’agit de pousser les ménages à augmenter la consommation d’abats, source de protéines bon marché disponibles, pour éviter des carences alimentaires chez une population privée d’un approvisionnement régulier en viande. Des ménagères sont réunies en plusieurs groupes et deux méthodes sont utilisées pour les pousser à modifier leurs conduites alimentaires : conférence explicative réalisée par des experts, ou réunion-discussion chez l’une d’entre elles avec initiation par un animateur qui expose les bienfaits de la consommation d’abats et lance une discussion collégiale. Les résultats sont éloquents : dans le premier cas seul 3% des femmes changent leurs habitudes, dans le second le pourcentage passe à 30%. 

L’analyse de cette expérience met en lumière d’une part la possibilité d’un processus de changement au cours de la réunion-discussion, qui passe par une remise en cause des croyances personnelles et une conviction renforcée progressivement par la discussion collective. D’autre part, les participantes s’inscrivent dans un engagement plus fort dans le cas d’une réunion de groupe dans laquelle leur avis et leur posture personnelle est exposée à tous. Il s’avère que pour exercer un changement de comportement, l’information et la persuasion sont indispensables mais pas suffisants pour susciter un engagement pérenne.

D’autres expériences similaires montreront que l’engagement peut être également renforcé par des sollicitations complémentaires comme : accord pour servir des abats dans la semaine (obligation temporelle), identification de la personne (qui s’engage nommément), engagement formel par une signature, fourniture d’un numéro de téléphone pour pouvoir être rappelé, etc.

Autres travaux

A contre-courant des théories de son époque qui se focalisent, comme nous l’avons vu plus haut, sur l’étude de l’interaction des individus avec le milieu dans lequel ils évoluent, il va établir la théorie du champ, sur le concept du même nom en sciences physiques. L’être humain se situe dans un champ de forces (psychologiques), et son comportement est le fruit de son état interne en interaction avec ce champ extérieur. Non seulement ce champ externe peut évoluer mais cette interaction est différente en fonction des tensions internes de l’individu, variables et en constantes évolutions.

Lui est également attribuée la modélisation des différents stades du processus de changement : dégel, modification, gel. Pour assimiler un changement, un individu doit d’abord déconstruire son système de croyance ou « dégeler » son état d’esprit pour pouvoir ensuite changer, puis se reconsolider. Cette approche est très similaire des notions de courbe du deuil, et se rapproche également de l’apprentissage allostérique (voir ici).

Nous lui devons également d’autres travaux moins connus et plus anecdotiques comme le classement des différentes cultures nationales suivant la pêche ou la noix de coco. Les personnes de culture « pêche » ont tendance à être beaucoup plus ouverts et accueillants de prime abord mais se montrent finalement assez peu enclins à tisser des relations interpersonnelles profondes. En revanche, les cultures de type de « noix de coco » sont difficiles à aborder initialement, mais une fois la confiance établie, elles créent des liens particulièrement solides et durables. Cette distinction recoupe tout à fait les stéréotypes habituels sur les tempéraments du sud ou du nord en France. 

Conclusion

Ces expériences célèbres et fondatrices seront reprises et développées par la suite. En matière de management, plusieurs enseignements sont directement exploitables :

  • la dynamique des groupes (et la théorie du champ) montrent que l’être humain n’est pas un simple outil dont les performances peuvent être améliorées indépendamment du milieu dans lequel il évolue. D’une part, l’atmosphère générale est importante, d’autre part, l’influence du groupe dont il fait partie, et la satisfaction qu’il tire de ses rapports avec les autres sont primordiales. Veillez ainsi à ce que vos collaborateurs évoluent dans un ambiance saine et entretiennent des rapports enrichissants avec leurs pairs.
  • Soignez la relation avec vos subordonnés, et laissez-leur une marge d’appréciation et de liberté dans les consignes que vous leur donnez. Il est indispensable de se placer dans le cadre d’un management participatif, avec les nuances nécessaires à votre corporation. Etre trop directif prive vos subordonnés de leur capacité de réflexion et les désengage de l’action collective. 
  • Votre capacité de conviction sera efficacement soutenue par l’utilisation des techniques de facilitation de l’engagement vues plus haut. Vous souhaitez modifier le comportement de certaines personnes ou vous assurer de leur détermination : faites-les s’engager personnellement, par écrit et fixez des échéances (voir également objectifs Smart). 

Vous pouvez également comprendre comment ces notions peuvent être exploitées en tant que manager ou responsable d’un groupe : découvrez le livre Soyez Chef Pas Manager. Il développe toutes ces dimensions purement humaines qu’un chef doit connaître et développer pour être à l’aise avec ses collaborateurs, dans toutes les situations.

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