La plus grande erreur de vos collaborateurs… ou de leur manager
N’avez-vous jamais connu de collaborateurs qui se sont énervés pour une raison ou pour une autre ? Vous-mêmes n’avez-vous jamais eu de poussées de colère au boulot ? Qu’avez-vous raté ? Quel en a été la cause ?
Je ne connais pas une seule situation dans laquelle la colère a été bonne conseillère, pour qui que ce soit. En revanche, ce type de situation est toujours révélateur d’un problème et le problème racine le plus courant est l’erreur de compréhension ou de représentation.
Nous allons analyser dans cet article de quoi il s’agit et comment limiter au maximum ce type d’erreur qui est souvent sous-estimée, et qui peut très facilement être réduite avec un minimum d’investissement en temps et en échanges.
S’énerver n’est pas un bon signal
Avant d’examiner les sources les plus courantes de frustration, prenons quelques lignes pour analyser la signification d’une contrariété chez vos collaborateurs. Quand tout se passe bien, les gens sont normalement contents. En revanche, quand les choses se passent mal, ça se gâte. Pourquoi les choses se passent mal ? Il suffisait pourtant de prévoir les problèmes et les traiter avant qu’ils surviennent ! Et bien c’est là tout le problème : les choses ne se sont pas passées comme prévu. Qu’est-ce que ça veut dire ? Soit qu’un imprévu est arrivé, soit que c’était probablement prévisible mais que la compréhension des événements a été imparfaite. Nous faisons là de la psychologie niveau 0, néanmoins toute erreur, tout problème ne peut avoir que deux causes principales : mauvaise anticipation ou mauvaise compréhension. Si on part du principe qu’une mauvaise anticipation est une mauvaise compréhension des risques à venir, il n’en reste qu’une : vous (ou votre collaborateur) n’avez pas tout compris !
L’énervement n’est que la manifestation d’une mauvaise appréciation de la situation. C’est également vrai quand vous pouvez nourrir des reproches à l’attention de certains : vous avez mal anticipé leurs actions ou leur comportement, et vous ne pouvez vous en prendre qu’à vous-même, d’autant plus si vous êtes leur chef (voir cet article sur la difficulté de diriger). Raisons pour lesquelles je ne peux que vous recommander de ne jamais vous énerver : vous ne faites que montrer que vous êtes en situation d’échec et que vous avez mal jugé les événements. Donc gardez votre énergie pour résoudre le problème qui s’est posé ou réduire son importance. Taper des pieds par terre n’y changera rien. De plus, faire peur aux gens ne les fait pas progresser (voir cet article sur la sanction). Ca ne les changera pas non plus, si ce n’est qu’ils se méfieront encore plus de vous.
Se laisser dépasser par les événements : les causes
Tout le monde a déjà connu des situations qu’il n’a pas maitrisées, qu’il n’a pas souhaitées, voire pas imaginées, et qui l’ont plongé dans un abîme de perplexité. Un collègue met un bazar incroyable dans les dossiers que vous veniez de mettre en ordre ? Votre chef prend un temps infini à produire une décision que vous attendez depuis longtemps ? Votre collaborateur n’a rien compris à la directive que vous lui avez répété au moins 10 fois ? La surprise fait souvent place à l’agacement, voire l’énervement, quand la situation s’écarte sensiblement des habitudes ou d’une normalité qui paraissait pourtant acquise. Que s’est-il passé ?
L’analyse qui suit peut paraitre assez théorique, mais la réflexion est intéressante car elle permet de prendre du recul sur ces situations. Si vous prenez ensuite le temps de comparer ces cas avec des situations professionnelles, voire personnelles, qui vous sont plus familières ou plu actuelles, vous reconnaitrez probablement des similitudes. Vous vous direz d’ailleurs peut-être qu’il est encore possible d’agir pour limiter d’éventuelles futures déconvenues.
Sur un plan professionnel
En premier lieu, l’erreur de représentation est très connue en aéronautique et dans le domaine de l’ergonomie, entre autres. Il s’agit d’une mauvaise interprétation d’une représentation de la réalité. Un schéma, un indicateur ou une image mal pensés trompent l’usager sur leurs significations et peuvent engendrer des décisions catastrophiques. Il s’agit là d’un aspect purement technique, mais qui peut s’avérer critique si le personnel n’est pas formé ou coutumier des symboles, signaux, images ou représentations qui sont utilisés autour de lui. Prenez par exemple un panneau d’évacuation en cas d’incendie posé dans un couloir : s’il représente un plan et que vous devez mettre 10 min pour le comprendre, vous êtes foutu. Même chose s’il fait apparaitre une flèche à suivre pour évacuer et que le technicien a posé le panneau du mauvais côté du couloir : vous allez courir dans le mauvais sens (vécu).
Ensuite viennent les problématiques sémantiques, le langage et les mots employés pour représenter des objets ou des concepts. On peut étendre le sujet aux acronymes qui se multiplient et ne couvrent pas toujours la même réalité d’un bureau à l’autre. Plus les concepts sont de haut niveau, plus il est nécessaire de préciser leur sens car leur complexité s’accroit. Ces problèmes de langage sont d’autant plus importants quand deux organisations ou deux entités de culture professionnelle différente travaillent ensemble pour la première fois : consultants qui interviennent pour une mission donnée, contacts entre services techniques et commerciaux, administrations et entités privées. Les problèmes s’intensifient également quand la discussion est délicate et que les parties n’osent pas insister pour définir précisément le vocabulaire, ou quand une des deux s’accommode bien d’un flou entretenu. Par exemple, la date de fin d’un projet peut représenter la première livraison pour test, la livraison après qualification officielle, la livraison après correction de toutes les erreurs, la fin de l’élaboration technique, …
Enfin, on peut noter les désaccords ou incertitudes procédurales qui peuvent exister entre différentes personnes ou entités qui travaillent ensemble : qui fait quoi et comment. Il n’est pas rare que Roger le technicien pense que c’est à Paul d’emballer le colis car c’est lui qui s’occupe de la livraison, alors que Paul pense que Roger s’occupe de tout car lui ne fait que livrer. Si les procédures ne sont pas claires, c’est la porte ouverte à belles discussions ! A ceci s’ajoutent les problèmes décisionnels et les luttes d’influence qui peuvent apparaitre à la marge ou en contradiction avec les procédures clairement établies. Si le patron ou son protégé va à l’encontre de la marche habituelle des opérations, bienvenue dans le côté obscur (voir cet article sur les pouvoirs existant au sein d’une organisation).
Sur un plan plus large
Il n’est pas de plan qui ne résiste à la première mise en situation ! En planification militaire comme dans la prévision des activités, il faut s’entourer de plans B, de plan de secours, et d’une analyse des risques solide et consensuelle. Il existe tant de raisons que les choses capotent qu’il ne serait pas raisonnable de les ignorer : problèmes juridiques, logistiques, politiques, financiers, de concurrence, … Tant de raisons de s’énerver !
Enfin, les différences culturelles ne sont pas seulement architecturales ou artistiques. Elles se manifestent aussi dans les relations entre personnes et organismes. Des différences juridiques, de perception et de principes peuvent handicaper de bonnes relations avant même que naisse un désaccord (vécu sur la différence de charge de la preuve entre les systèmes juridiques américains et européens par exemple). De même, des tensions peuvent émerger pour des principes d’organisation ou de décision non concertés et même non envisagés (vécu aussi, qui doit faire quoi suivant les habitudes des uns ou des autres). Des incompréhensions peuvent naitre de différences culturelles et de comportements sociaux apparemment incompatibles (vécu et revécu, voir à ce titre l’ouvrage : « kiss, bow or shake hands »). Vous comprendrez que je ne me m’étends pas sur l’exemple, je dirai juste que j’ai eu le plaisir de faire travailler ensemble des Allemands du nord et des Italiens du sud : les approches ne sont pas les mêmes !
Les solutions : communication, standardisation et gestion des risques
Si l’on ne devait en garder qu’un ce serait la communication. Communication entre collaborateurs et horizontale entre services qui travaillent ensemble. On ne rappellera jamais assez l’importance de la machine ou de la zone café, qui représente en apparence une perte pour parler de tout et de rien. Mais c’est surtout un point focal pour construire des relations humaines riches et variées et partager des sujets et des problèmes qui n’auraient pas été échangés par ailleurs. Le technocentre Renault de Gyancourt a été construit sur ce principe, comprenant de larges zones d’échange pour faciliter la communication entre les différents services et métiers, ingénieurs et techniciens notamment. La communication verticale est également capitale pour s’assurer de la bonne compréhension des directives, du sens des mots et des phrases, et de la vision à long terme. Il ne faut pas non plus négliger le poids de l’invisible, c’est-à-dire les zones d’influence et les forces cachées au sein de votre organisation, qui se mènent parfois une lutte de pouvoir sans merci, et qui peut balayer vos meilleures réalisations si vous n’y prenez pas garde (voir article sur les 7 pouvoirs).
Petit animal curieux qui se déplace de réunion en réunion, le manager a pour rôle de poser beaucoup de questions pour clarifier les flous éventuels et s’assurer que les incompréhensions sont dissipées pour tous les acteurs (ça commence d’ailleurs parfois par la raison et le but de la réunion en question ☺). Il ne faut jamais supposer que tout va bien se passer et que tout le monde pense la même chose. Dans la même idée, il faut laisser vos collaborateurs être incisifs et dubitatifs et ne pas les brider (dans la mesure du raisonnable). Ce n’est pas facile mais il est nécessaire de garder quelques mauvais coucheurs dans votre environnement proche et créer une atmosphère qui permettre la contestation. Ils relèveront les contradictions et vous préviendront si vous partez dans la mauvaise direction. Le cas contraire, vous les contrerez et renforcerez votre posture. A vous d’avoir assez d’autorité pour signer la fin du match et l’expliquer clairement : réflexion collégiale, mais décision unique.
La standardisation des procédures, des termes, des méthodes, des principes prend du temps. Mais c’est un véritable investissement qui permet la définition et la clarification des termes et des concepts employés. Il faut éviter que chacun interprète les éléments à sa manière et ne pas hésiter à écrire. La rédaction de notes de service ou de cadrage partagées force à se poser, prendre le temps de réfléchir, échanger et converger vers une solution commune. De plus, elle engage beaucoup plus fortement les différents protagonistes (voir cet article sur la soumission librement consentie).
En dernier lieu, la gestion des risques est un exercice souvent éludé, peu approfondi ou réalisé par obligation. Pour rappel, il s’agit de lister tous les risques qui vous empêcheraient de réaliser vos activités professionnelles, les évaluer en terme de probabilité d’occurrence et de force d’impact, et de réfléchir à comment éviter les plus critiques (forte probabilité d’apparition et fort impact). C’est encore une fois un investissement en temps mais il est généralement gagnant. Il soulève toujours des questions pertinentes. Les plans de contingence (plans B) que vous élaborerez seront utiles le moment venu pour pallier aux situations « ça ne devait pas se passer comme ça ». Par exemple, si vous devez construire une maison, vous avez des risques d’indisponibilité des ouvriers, de non réception des matériaux, de mauvaise organisation du chantier, … que vous pouvez analyser et réduire par des marges de temps plus grandes, plusieurs sources d’approvisionnement, un contrôle accru de la coordination et de la qualité des échanges entre ouvriers, …
Conclusion
Une bonne partie du stress, de la tension, de l’énervement qui existe dans une organisation peut être soulagée par une clarification des incertitudes, des modes de fonctionnement et une vision à long terme claire et maitrisée. Il faut considérer que toute incompréhension et zone grise sera source de problème à moyen ou long terme, et tout problème évité en avance coûte moins cher qu’un problème à résoudre.
Vivre dans un monde où l’on imagine que tout va bien se passer n’est qu’une source continue de frustration. C’est ce qu’on peut appeler « le monde des bisounours ». Certaines personnes imaginent que les choses se passent bien grâce à la chance et leur bonne étoile. Elles évitent de penser, se protéger, anticiper et prévoir. Toute déconvenue est alors mise sur le dos de la malchance. En tant que manager, vous ne pouvez pas tomber dans cette économie intellectuelle dangereuse.
A vous d’avoir le courage de poser toutes les questions les plus dérangeantes, qui sont parfois les plus simples, et de planifier et replanifier les activités de votre responsabilité, en évaluant et réévaluant tous les risques possibles. Je donne souvent l’image d’un manager comme un Terminator du film de James Cameron, dont la vision est en permanence augmentée d’une liste de données d’évaluation et de décision sur les éléments qui entrent dans son champ de vision. Avec l’expérience, partout où vous jetterez un œil, votre regard de manager vous fournira la liste continue et ininterrompue de tout ce qui peut déraper. Vous verrez elle grandit avec le temps !
Exercice
Avez-vous connu des situations de stress ou d’énervement semblables ? Quelles en étaient les causes ? Comment avez-vous réagi alors ? Pensez-vous que ces situations ne pourraient pas se reproduire ? Pourquoi ? Que pourriez-vous faire pour réduire ces phénomènes ? Des indices : mesures de prévention, formations, mise en place de contrôles, échanges plus nombreux ou communication améliorée, standardisation, approfondissement de la préparation de certaines activités, autres ? A vous de jouer !
Merci encore de faire partie de nos lecteurs et à très bientôt !
Avant de quitter, proposez-le à vos connaissances, par mail, whatsapp ou twitter (les petites icônes sont là pour ça) !