Mario, l’anti-décideur

Temps de lecture : 5 minutes

Cet article fait partie de la série « Chroniques de l’anti-management » qui met en scène des caricatures de managers que j’ai eu l’occasion de croiser par le passé, et que vous êtes susceptibles de croiser ou que vous connaissez déjà. Les noms et les éléments cités dans ces articles sont bien entendu changés et masqués. Les portraits présentés sont un mix de plusieurs personnes (dont j’ai pu faire partie d’ailleurs malheureusement 😬…). Cet article présente l’ensemble des portraits esquissés.


Mario est un cadre de plus de quarante ans, qui présente bien et parait comme un collègue ou un manager idéal. Il est à la tête d’une équipe entre 15 et plusieurs dizaines de personnes. Mario parle très bien et discute avec tout le monde sans difficulté. Il profite allègrement des privilèges liés à sa fonction qu’il estime normaux du fait de sa position et probablement de sa personne.
Il parait très à sa place de chef en apparence, et sa hiérarchie le considère avec bienveillance. Les premiers jours avec lui comme nouveau manager sont plutôt agréables car Mario est rompu aux atmosphères mondaines et connaît de nombreuses anecdotes et histoires à raconter qui enchantent son auditoire.

Cependant, Mario possède un « petit » défaut qui va vite devenir problématique pour celles et ceux qui travaillent avec lui. Ce défaut ne se révèle pas tout de suite, mais apparait clairement quand les relations superficielles se dissipent et que des décisions plus importantes doivent être prises : Mario ne s’implique jamais et ne prend aucune décision !

Il élude systématiquement toute prise de responsabilité, même si elle s’avère indispensable pour son équipe. Mario n’organise jamais rien et laisse son entourage se débrouiller pour faire face aux situations qu’il doit affronter. Il est assez peu à l’écoute des problèmes de ses subordonnés, qu’il ne veut pas voir devenir « ses » problèmes. Dans les réunions qu’il « dirige », il noie le poisson en permanence ou repousse la prise de décision quand elle s’impose. Il écoute chacun et comprend les problématiques mais il ne peut jamais se prononcer et préfère reporter un avis à plus tard ou se cache derrière la responsabilité d’un autre service.
Les projets qui échoient à son équipe sont souvent réalisés par ses subordonnées par défaut, avec une sorte d’accord tacite de sa part, et surtout parce qu’il n’y a pas d’autre solution pour l’équipe qui doit avancer. Les projets qui ne peuvent s’entreprendre et se résoudre de façon « naturelle » et qui méritent une décision de sa part ne sont soit jamais initiés, soit repris par un autre service plus dépendant d’une résolution du sujet.
Quand il doit signer un document que vous lui présentez, Mario aura infiniment de mal à se prononcer sur les conclusions que vous proposez, et trouvera plus intéressant de corriger le style, les virgules ou les détails sans importance. Il est tout à fait possible qu’il vous fasse corriger dix fois une note avant de la signer, si cela arrive, plus par usure que par vrai souci d’efficacité.

Principe de Peter

Il représente probablement une des meilleurs illustrations du principe de Peter, qui explique que chacun arrive naturellement à son niveau d’incompétence. De quoi s’agit-il ? Quand une personne est compétente, elle est promue dans un nouveau poste, plus exigeant. Cette mécanique se répète jusqu’à ce que le nouveau poste s’avère trop difficile pour la personne, où elle se révèle donc incompétente. Ceci semble démontrer avec humour que les organisations sont in fine remplies de personnes incompétentes. Le raisonnement est en général un peu réducteur, car il n’existe pas d’échelle de valeur quantifiable de la compétence managériale. Mais pour Mario cela semble s’appliquer à merveille.

En effet, son indécision pathologique a façonné chez lui un caractère particulièrement adaptatif et gélatineux. Il peut ainsi faire bonne figure vis à vis de sa hiérarchie et de ses superviseurs, qui valorisent cet aspect docile, en laissant la résolution concrète des problèmes à la bonne fortune ou à ses collaborateurs. Mario a pu ainsi gravir les échelons, sans jamais prendre de mauvaise décision (ni de décision tout court d’ailleurs), tout en se montrant comme un collaborateur complaisant et infaillible (sur le dos de ses équipes, souvent épuisées de trouver des solutions à sa place).

J’ai eu l’occasion de croiser quelques Mario dans ma carrière, dont certains notoirement connus pour ne jamais décider. Leurs entourages élaboraient alors systématiquement des stratégies pour fonctionner quand même (et malgré lui), car ces Mario tenaient des postes à responsabilité dans lesquels une absence de décision est parfois pire qu’une mauvaise décision. Cependant, certains environnements un peu « mous » peuvent tolérer une absence de décision récurrente chez un manager, quand le paraitre, la vassalité ou l’esprit de caste sont des qualités de première importance. Henri Queuille, ancien homme d’état français, prétendait : « Il n’est aucun problème politique qui ne puisse se résoudre par une absence de décision. » Ce n’est pas une posture que je recommande. Il est tout de même rare qu’un vrai Mario puisse faire illusion toute une carrière (heureusement), il sera généralement écarté des postes importants.

Comment ne pas devenir un Mario

Mario étant un anti-décideur, il suffit donc de décider, de s’impliquer, de prendre parti. Le rôle d’un responsable est de prendre à son compte les décisions de son niveau. Il a le devoir de décider, et comme contrepartie le droit de donner des directives à ses collaborateurs pour que les décisions soient effectuées. Bien décider implique une communication suffisante avec ses équipes et une bonne connaissance de son environnement professionnel.
Enfin, abonder dans le sens de ses chefs peut paraitre en première approche comme une mesure de bon sens. Néanmoins, ils attendent surtout que vous présentiez vos problèmes et vos contraintes, le plus tôt possible, pour éviter des déconvenues qui pourraient impacter l’ensemble de l’organisation. Soyez à l’écoute des problématiques de votre organisation, anticipez-les, sachez orienter les décisions d’ensemble en accord avec l’activité de vos équipes.

Comment gérer un chef comme Mario

La posture que je soutiens dans ces cas est de faire en sorte de solliciter le moins possible le chef indécis : soit vous décidez à sa place quand c’est possible, soit vous le contournez en cherchant une décision du n+2 ou d’un n+1 proche. Vous pouvez également essayer de recourir à lui en lui proposant un choix qu’il ne peut refuser : dossier univoque avec un seul vrai choix possible, en invoquant l’appui de personnes de votre entourage avec une forte crédibilité, pour limiter au maximum un refus. S’il est sensible aux apparences, vous pouvez souligner le retour populaire d’une telle prise de décision.

Comment gérer un collègue comme Mario

(collègue = même niveau que vous, ni votre chef, ni votre collaborateur)
Le danger principal du collègue Mario est sa capacité à créer des zones de pourrissement ou à distribuer aux alentours les patates chaudes normalement de sa responsabilité. Il vous faudra donc en premier lieu clairement baliser votre zone de compétence pour éviter les incursions intempestives. Ensuite, il sera nécessaire d’avoir une vision claire des travaux de l’ensemble de l’organisation, pour anticiper les tâches qui pourraient « glisser » sur Mario et tomber chez vous. Enfin, pour les activités en souffrance, que personne n’effectue et qui vous impactent, à vous de voir si vous vous en chargez ou si vous attendez qu’une bonne fortune intervienne (ce qui n’est jamais gagné). Mon avis est que si vous n’avez pas le choix, il vaut toujours mieux prendre en charge une activité qui vous coutera moins cher à effectuer qu’à subir les conséquences de sa non-réalisation.

Comment gérer un collaborateur type Mario

Comme déjà expliqué, les Mario ne sont pas faciles à détecter par leur hiérarchie. Ils présentent bien et savent monter subrepticement dans les étages de la progression de carrière. Vous aurez des indices de sa nature en captant les signaux faibles (voir livre p216) provenant de son équipe ou de son entourage. Le niveau de tension ou les remarques masquées de ses collègues devraient vous orienter assez vite. Dans ce cas, il faut surveiller sa façon de déléguer ou la précision de ses compte-rendus. Les Mario s’intéressent généralement peu aux activités de leurs équipes car ils ont peur d’en devenir responsables. Le flou avec lequel il décrit ces activités devrait vous forcer à lui demander des comptes précis. Vous n’aurez probablement pas le choix car « ses » problèmes pourraient devenir les vôtres !

Image de Mario générée par ChatGPT : le sourire est tout ce que vous arriverez à obtenir de cet archétype !

Conclusion

Les Mario sont des personnes qui ont peur de décider, de s’engager et d’être tenus responsables d’une mauvaise décision. Ils préfèrent donc ne pas décider du tout. Il s’agit généralement la combinaison d’un refus d’engagement et de fainéantise. Ces caractères ne sont pas nécessairement maladifs, ils traduisent souvent une certaine habileté à se mouvoir avec succès dans une organisation avec un investissement minimal. Leur existence est également symptomatique d’une organisation qui permet la progression de profils opportunistes au détriment de caractères plus entreprenants.
Quoi qu’il en soit, il n’y a jamais de fatalité et tout le monde peut évoluer. Rester positif et professionnel est la meilleure parade contre des comportements volontairement ou involontairement individualistes ou élusifs.

Quel est votre avis sur la question ? Avez-vous connu des Mario ? Quels ont été vos parades ?
Je prétends pas détenir la vérité, donc n’hésitez pas à compléter en commentaire avec votre vécu et vos solutions pour donner plus de relief à ces figures caricaturales du management !


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