La théorie de la ligne de rupture [de quel côté êtes-vous situé ?]

Temps de lecture : 4 minutes

La ligne de rupture marque la séparation entre « les chefs » et les « exécutants ». Dans le milieu professionnel, les individus cherchent à s’identifier par leur appartenance à une corporation ou un sous-groupe social. La psychologie sociale l’explique très bien, l’être humain est une espèce grégaire. Elle montre un grand besoin d’identification, qui la rend très sensible au suivisme et au conformisme. Les distinctions de sexe, d’école d’origine, de spécialité, d’âge, de grade créent autant de catégories, soutenues en fonction des circonstances.

La hiérarchie ne fait pas exception. Dans les structures de taille significative, la distinction entre ceux qui décident et ceux qui exécutent, marque généralement une ligne de séparation voire de rupture, plus ou moins claire et mobile. En tant que décideur, il est intéressant d’identifier où se matérialise cette ligne, quelles sont ses implications et que faire pour circonscrire ses effets.

Comment identifier la ligne de rupture ?

Ligne de séparation fictive entre la « base » et la « tête », la ligne de rupture distingue ceux qui se considèrent solidaires avec les exécutants, et ceux (ou celui) qui dirige, étant entendu que le chef de l’entité appartient forcément au groupe de direction. Cette séparation ne suit pas toujours la différence statutaire entre ouvriers / techniciens ou techniciens / cadres. Il s’agit plutôt d’une limite émotionnelle, qui distingue souvent le « bas » de l’organisation des autres. Elle est évidemment bien plus marquée dans les structures dont l’organisation est fortement hiérarchisée.

Les exécutants, ouvriers, manoeuvres font systématiquement partie du bas. En revanche, les cadres dirigeants, membres des conseils d’administration, les cols les plus blancs s’installent côté « direction ». Entre les deux la limite peut être mouvante. La séparation n’est pas toujours cols bleus / cols blancs. Les attitudes ou les intérêts des cadres de contact et des cadres intermédiaires peuvent varier entre les différentes couches hiérarchiques successives. Généralement la ligne de rupture est tracée au dessous du premier cadre (ou groupe de cadres) le plus autoritaire ou le moins ouvert à ses subordonnés (/collaborateurs).

Comment analyser la ligne de rupture ?

Cette théorie de ligne de rupture n’est pas qu’une simple abstraction intellectuelle. Il est fort possible que vous ayez déjà connu ce type de phénomène de séparation ou d’incompréhension entre strates décisionnelles. En effet, dans les organisations hiérarchiques classiques votre premier chef (N+1) « masque » la hiérarchie supérieure. C’est normalement l’unique personne qui vous donne des directives et à qui vous rendez compte. Les échelons hiérarchiques supérieurs sont ensuite de moins en moins visibles, votre chef est souvent « l’arbre qui cache la forêt ». Ainsi, s’il existe une séparation très marquée entre deux niveaux hiérarchiques successifs, qui engendre une distance émotionnelle plus importante, elle coupe symboliquement l’organisation en deux parties disjointes et bien séparées.

Dans les moments enthousiasmants de la vie de l’entreprise, tout va dans le meilleur des mondes. En revanche, dans les moments de tension, en cas de mauvais résultats ou de difficultés passagères, les liens humains sont mis à l’épreuve. Les relations peuvent se dégrader, certaines distances sociales se creusent et les incompréhensions risquent de se transformer en conflits. Cette ligne de rupture va très probablement marquer la séparation entre deux groupes sociaux. Ils se centreront chacun sur leurs propres intérêts, autant qu’ils s’éloigneront l’un de l’autre. Les personnes à l’interface entre le groupe du « bas » et le groupe du « haut » devront alors gérer la relation délicate.

Exemple : le film « En guerre », de Stéphane Brizé, décrit la résistance d’ouvriers face à un plan social massif. Il marque ce phénomène naturel de différence entre ouvriers et cadres. Lors d’une réunion de grévistes majoritairement ouvriers, la légitimité et la crédibilité d’un cadre est remise en cause du fait de sa position dans l’entreprise, alors qu’il est solidaire et subit les mêmes contraintes que le reste du groupe.

En conséquence, être placé de part et d’autre de cette ligne de rupture n’est pas agréable pour personne. La limite inférieure absorbe la différence de traitement. La limite supérieure subit un isolement plus fort avec la base de l’organisation.

La hiérarchie

Que faire ?

Repousser la ligne

En tant que cadre, vous avez tout intérêt à ce que cette ligne soit tracée le plus loin de vous, voire ne soit pas tracée du tout. Même si vous ne maîtrisez pas les caractères de l’ensemble de vos cadres subordonnés, il vous est possible d’agréger les échelons de direction inférieurs en les associant à vos processus de décision, par la communication et par l’atmosphère que vous créez au sein de votre équipe de direction étendue. Ainsi, vous pouvez tracer cette limite entre une équipe de direction élargie et le personnel placée plus bas sur l’échelle hiérarchique, sur lequel votre autorité directe n’est pas nécessaire. Charge à chacun de vos cadres subordonnés d’entretenir les mêmes types de liens avec leurs propres collaborateurs subordonnés.

Anticiper les ruptures

Un de vos cadres qui dirige sur un mode « tour d’ivoire » (peu enclin au relationnel et à la communication), déconnecté ou autoritaire, aura toutes les chances de tracer la ligne de rupture au-dessous de lui. Si vous n’avez pas la possibilité ou les moyens de faire évoluer cette situation, vous avez toutes les chances que se développent des tensions au sein des individus sous sa responsabilité, ou qu’il soit en première ligne si l’ambiance générale se dégrade. Il existe généralement des signes avant-coureurs. Son équipe vous apparait comme une « boite noire » dans laquelle vous saisissez mal l’atmosphère générale. Les individus n’ont pas l’air très épanouis mais ils n’ont pas pourtant l’air de se plaindre (souvent de peur des représailles de leurs cadres proches).

Un chef autoritaire règlera probablement tout conflit interne par un surcroit d’autorité. Cette attitude peut entraîner soit une explosion, soit des conflits qui se déplacent dans les sphères personnelles. Dans tous les cas, le fonctionnement du groupe ne sera pas optimal. Si vous ne pouvez pas agir de manière préventive, ou si vous n’avez pas pris conscience d’une ligne de rupture qui se transforme en fossé, il faudra alors profiter des problèmes qui émergent pour trouver les solutions et opérer les changements nécessaires.

Exemple : j’ai eu le cas d’un cadre de contact responsable de plusieurs dizaines de personnes. Son style de management était assez autoritaire, ce qui n’était pas rare dans sa spécialité. Néanmoins, cette situation me gênait car j’avais le sentiment qu’il bridait les initiatives individuelles. Certains signaux faibles mettaient en relief des tensions internes, sans pourtant que l’on puisse rien reprocher sur un plan professionnel. Les tentatives pédagogiques et les discussions n’ont pas permis de mettre en lumière de malaise rédhibitoire, ni de voies d’évolution satisfaisantes. Il n’existait pas vraiment d’alternative simple sans intrusion significative dans le service et le risque d’imposer d’autorité une solution pire que le mal dans un contexte troublé. L’émergence ultérieure d’un problème relationnel interne, mineur mais qui a dépassé le service, a créé une occasion idéale pour mettre à plat l’organisation interne avec une adhésion quasi-unanime.

Conclusion

Le management n’est pas une science exacte utilisant des théories universelles. Comprendre et interpréter les échanges et les émotions de ses équipes est capital pour bien diriger. La théorie de la ligne de rupture propose un modèle simple de comportement d’un groupe d’au moins plusieurs dizaines de personnes. En tant que cadre ou dirigeant, il est intéressant de saisir à quel niveau se situe cette séparation. Vous pourrez de ce fait suivre son évolution et travailler à la repousser le plus bas possible, en valorisant vos cadres intermédiaires et en les intégrant dans les processus de décision. L’idéal reste de la supprimer par la formation des responsables et la mise en place de capteurs et de processus de modération à chaque niveau hiérarchique. Vous pourrez alors surveiller et piloter le niveau global de tension et de stress au sein de votre groupe, et éviter les ruptures.

Pour prolonger la lecture sur le rôle du chef, cliquer ici. Sur la nécessité d’entretenir les activités de cohésion interne de l’équipe, voir là. Sur une approche inclusive du management, se reporter ici.

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